Ma fille va bientôt faire sa rentrée en 6e. C’est un cap. Un de ceux qui nous remuent un peu, parce qu’il marque la fin de quelque chose — l’enfance insouciante de l’école primaire — et l’entrée dans un autre monde, plus vaste, plus brut. Ce passage devrait être porteur d’enthousiasme, de curiosité, d’ouverture… Et pourtant, ce que je ressens, au fond, c’est surtout de l’inquiétude.
Car aujourd’hui, ce passage rime avec autre chose. Avec pression sociale. Avec smartphone. Avec réseaux sociaux. Comme si, à 11 ans, il fallait déjà être connecté au monde — pas pour l’explorer, mais pour le subir. Ce n’est plus une simple option, c’est une évidence qu’on n’interroge même plus. À cet âge, on s’attend presque à ce qu’ils aient déjà un iPhone dernier cri, un compte TikTok, Snapchat, YouTube, et un accès sans filtre à tout ce que le numérique peut avoir de plus sombre : violence banalisée, hypersexualisation, influence déguisée, contenus malsains, jeux d’ego et d’apparences…
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Je suis choquée, sincèrement, de voir à quel point cela semble accepté...
- Jenn
Des contenus toxiques : entre violence, absurdité et vide éducatif
Je ne m’y fais pas. Je suis profondément troublée par ce que je vois, par ce que je devine derrière les écrans. Ce n’est pas juste une question de mode ou de génération. C’est plus grave. On laisse nos enfants plonger dans un univers qui n’est pas fait pour eux. Où la violence est banalisée, où les insultes fusent, où la sexualité est omniprésente, déguisée en humour ou en tendance. Des vidéos choquantes, brutales, qui les heurtent sans qu’ils sachent toujours mettre des mots dessus. Et à côté de ça, il y a l’autre extrême : le vide. Des contenus d’une bêtise affligeante, d’un niveau intellectuel inexistant, qui ne leur apportent rien. Pire : qui les abrutissent. On leur sert des blagues idiotes, des sketchs humiliants, des défis absurdes, parfois dangereux. Comme ce « jeu » qui consiste à se scarifier pour faire comme une star du net. Ou celui où il faut avaler n’importe quoi pour faire le buzz. Ce n’est pas de l’amusement. Ce n’est pas de la créativité. C’est un brouhaha constant, sans sens, sans repère. Et le plus effrayant, c’est que nos enfants n’ont pas à chercher ces contenus : ils leur tombent dessus. L’algorithme s’en charge. Il les happe. Il les piège. Et pendant ce temps-là, nous, les adultes, nous regardons ça, souvent démunis… parfois paralysés.
Le smartphone : nouveau passeport social à l’entrée en 6e
Depuis quand est-ce devenu normal ? Depuis quand un enfant de 11 ans devrait avoir un smartphone dernier cri pour « faire comme les autres » ? J’ai l’impression qu’on ne questionne plus rien. Que l’on suit le mouvement, les yeux fermés. Parce que “tout le monde le fait”. Parce que “c’est plus simple”. Parce qu’on a peur que notre enfant soit mis à l’écart.
Mais à quel prix ?
Je vois autour de moi des enfants qui n’ont même pas encore fini leur primaire, et qui comparent déjà la marque de leur téléphone. Qui se jaugent à travers un écran. Qui se définissent par une appli, une story, un filtre. Qui n’ont même pas encore appris à se connaître eux-mêmes, mais qui veulent déjà ressembler à ce qu’ils voient défiler.
Et moi, je doute. J’hésite. Je me questionne. Est-ce que je vais priver ma fille de lien social si je lui refuse ce téléphone ? Peut-être. Est-ce que je vais lui éviter de tomber dans un engrenage trop lourd pour ses épaules d’enfant ? Sûrement.
Alors je choisis de résister. Même si c’est inconfortable. Même si elle me dit qu’elle sera la seule sans smartphone. Parce que je crois que ce n’est pas à elle de porter ce poids. C’est à moi, sa mère, de tenir bon.
La pression sociale : un terrain miné dès le collège
Au fond, ce n’est pas seulement le téléphone qui pose problème. C’est tout ce qu’il représente. Ce qu’il déclenche. Ce qu’il alimente.
Aujourd’hui, un enfant sans smartphone est perçu comme un extraterrestre. Dans la cour, ça rigole, ça filme, ça partage. Et celui qui ne suit pas ? Il est mis à l’écart. On le regarde comme un être à part, presque suspect. On lui dit qu’il vit dans une grotte, qu’il est « trop nul », « trop bébé ».
Même si, officiellement, les téléphones sont censés être interdits dans les collèges, on sait très bien que beaucoup (tous ?) d’élèves en ont quand même un. Et à un moment ou un autre, il finit toujours par sortir. Que ce soit en cachette, pendant la pause, ou pour suivre les dernières tendances. Cette réalité crée un climat où le téléphone devient un outil de pouvoir, d’exclusion, et parfois même de harcèlement.
Je le vois déjà venir. Je vois les remarques. Les regards. Et je sens que ma fille va devoir faire face à cette cruauté déguisée en blague. Cette pression sociale, sournoise, silencieuse, mais redoutable. Celle qui pousse à se conformer, à se fondre, à se taire.
Et ça me brise un peu. Parce que je voudrais qu’elle ait la force d’être elle-même. De s’assumer. De dire non.
Mais je sais aussi qu’à 11 ans, ce n’est pas à elle de porter cette bataille. C’est à nous, les parents, de faire bloc. De résister ensemble à cette logique du « tout, tout de suite ». D’expliquer, encore et encore. De rappeler que la valeur d’un enfant ne se mesure ni à la taille de son écran, ni à la version de son iPhone.
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Dire non à la facilité, c’est dire oui à leur bien-être.
- Jenn
Oser choisir autrement : des alternatives pour protéger nos enfants
J’ai longtemps réfléchi à comment concilier la nécessité d’être joignable et le désir de préserver mes enfants de ce flot numérique toxique. Parce qu’on n’a pas à tout accepter sous prétexte que c’est la norme. Il existe des solutions simples, des téléphones qui ne sont pas des smartphones, qui permettent juste de téléphoner, d’envoyer des SMS, sans accès à Internet ni aux réseaux sociaux. Parfois, ce sont même des appareils qui ressemblent à un smartphone, mais sans ces fonctions distrayantes et dangereuses.
Ces choix sont loin d’être anodins. Ils demandent de la volonté, du courage, et une vision à long terme. Ce n’est pas toujours facile, car nos enfants grandissent dans un monde qui les pousse à toujours plus de connectivité, de vitesse, d’expositions aux contenus. Et la pression sociale est là, bien présente, prête à nous faire douter.
Mais pour moi, c’est un acte d’amour et de protection. Dire non à la facilité, c’est dire oui à leur bien-être. Leur offrir un espace sécurisé où ils peuvent encore grandir, découvrir, créer, sans être noyés sous un flux d’images qui ne leur apportent rien de bon.
Ce choix, je veux le partager, l’expliquer, le défendre. Parce que je suis convaincue que c’est possible. Et que chaque parent qui ose poser cette limite fait déjà un pas de géant vers un monde numérique plus sain pour nos enfants.
Éduquer, expliquer, accompagner : notre responsabilité, plus que jamais
Je refuse que mes enfants grandissent dans une bulle, coupés de la réalité. Mais je refuse aussi qu’ils soient exposés sans filtre à un monde numérique qui ne fait que brouiller leur regard, déformer leurs repères, et mettre en danger leur innocence.
Ce n’est pas une question d’interdire ou de contrôler à outrance, mais d’accompagner avec bienveillance, patience et clarté. Leur parler, oui, leur expliquer les enjeux, les risques, mais aussi leur donner les clés pour discerner ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas. Pour qu’ils comprennent que derrière un écran, tout n’est pas forcément ce que ça semble être.
C’est un combat de chaque instant. Parfois, je suis fatiguée, je doute. Parfois, je me demande si tout cela sert vraiment à quelque chose. Mais chaque échange, chaque question qu’ils posent, chaque moment où je sens qu’ils prennent conscience de ce monde complexe, me redonne de la force. Parce que c’est notre rôle, en tant que parents, d’être leur guide, leur repère, dans ce dédale numérique.
Et surtout, c’est à nous de montrer l’exemple. De déconnecter quand il le faut, de privilégier le réel, les conversations sincères, les moments partagés loin des écrans. Parce qu’ils apprennent autant de ce que nous faisons que de ce que nous leur disons.
Pour conclure : un choix conscient face à une société qui va trop vite
Le passage au collège ne devrait pas se résumer à une initiation forcée au monde numérique. Offrir un smartphone à un enfant de 11 ans, c’est lui confier une porte ouverte sur un univers qui peut être fascinant, mais aussi terriblement toxique. Ce n’est pas un rite de passage, c’est une responsabilité immense, que beaucoup semblent oublier.
Je sais que c’est difficile. Que la pression sociale est forte, que les enfants veulent être comme les autres, que la peur de l’exclusion pèse lourd. Je sais aussi que moi-même, parfois, je me sens dépassée, isolée face à ces enjeux. Mais je préfère que ma fille se sente différente aujourd’hui, dans ce combat, plutôt que de la voir perdre son authenticité, sa confiance, et sa capacité à rêver dans un futur où la réalité est de plus en plus diluée.
Ce choix de mettre de la distance, de poser des limites, n’est pas un refus de la modernité. C’est un acte d’amour. Un acte de protection. Un acte de courage.
Si vous lisez ces lignes et que vous ressentez cette même inquiétude, cette même envie de préserver ce qui fait l’essence de l’enfance, alors sachez que vous n’êtes pas seuls. Ensemble, en en parlant, en partageant nos doutes, nos expériences, nos stratégies, nous pouvons construire un chemin plus juste. Pour nos enfants. Pour leur avenir.
Parce qu’au final, ce n’est pas le smartphone qui doit grandir avec eux, mais leur capacité à comprendre, à choisir, à résister, et surtout… à être eux-mêmes.
Photographies : kaboompics
Pas de collaboration sur cet article